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Gottfried Leibniz

Allemand écrivant en allemand, français et latin
1646-1716
première lecture conseillée : "La monadologie"

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Sa vie

Gottfried Wilhelm Leibniz est né à Leipzig le 1 juillet 1646. Il étudie de 1661 à 1664 la philosophie, le droit et les mathématiques à Leipzig, Iéna et Brunswick. Conseiller à la cour suprême de Mayence en 1670, il fait fonction de diplomate. Il travaille à l’unité européenne, et rencontre beaucoup de scientifiques et de philosophes (notamment Arnauld, Malebranche, Newton, Spinoza. Il produit une œuvre mathématique importante, et est notamment inventeur, en même temps que Newton, du calcul infinitésimal en 1676 (les différentielles et les intégrales). Il améliore la machine à calculer, inventée par Pascal, en la rendant capable de faire les multiplications et les divisions. Il publie des ouvrages de philosophie,  de logique, de théologie, de droit et d'histoire. De retour en Allemagne, il est nommé bibliothécaire et conseiller à la cour de Hanovre en 1677, dont il entreprend une historiographie. Très encyclopédique, il construit un système philosophique qui fait de lui le modèle du rationaliste. Il meurt à Hanovre le 14 novembre 1716. La diversité de sa culture, de ses compétences, son inventivité tant philosophique que scientifique, la subtilité et la force logique de son raisonnement lui donneront la réputation d'être l'un des hommes les plus intelligents de l'histoire de la pensée humaine.

Son œuvre

Principalement : le "Discours de métaphysique" (1686), "De l'origine radicale des choses" (1697), les "Nouveaux essais sur l'entendement humain" (1704), les "Essais de Théodicée" (1710),  "La monadologie" (1714), ainsi qu'une correspondance très abondante.

Introduction à sa philosophie

1. Le principe de raison suffisante.
Il faut distinguer les vérités nécessaires et les vérités de fait. Les premières ne pourraient pas ne pas être, car elles reposent sur le principe de contradiction, qui nous dit que tout ce qui en contient est faux. Nous y parvenons avec une certitude absolue par le raisonnement analytique, comme par exemple lors de l'établissement d'un théorème mathématique. Les secondes, les vérités de fait, sont contingentes, comme l'existence de tel homme, qui existe, mais qui aurait pu ne pas exister. Mais ce n'est pas pour autant qu'elles existent sans raison (tel homme existe parce que ses parents l'ont fécondé). La différence entre les deux, est que dans le premier cas la raison peut conduire son analyse à terme, tandis que dans le second, elle ne peut atteindre le détail infini de l'univers qui permettrait de rendre compte de la contingence d'un fait. Mais il reste néanmoins dans sa nature de poser que ce qui n'aurait aucune raison d'exister n'existerait pas. C'est le principe de raison suffisante, "en vertu duquel nous considérons qu'aucun fait ne saurait se trouver vrai ou existant, aucune énonciation véritable, sans qu'il y ait une raison suffisante pourquoi il en soit ainsi et non pas autrement, quoique ces raisons le plus souvent ne puissent point nous être connues." Comme l'analyse  de détail nous ramène toujours à d'autres contingences antérieures, et ceci sans fin, il faut bien qu'il y ait une raison suffisante dernière, hors de la suite rétrograde de ces contingences, ce qui amène à la notion d'un dieu unique et suffisant.

2. La monade.
Leibniz est un rationaliste exigeant, mais il ne renie pas pour autant la réalité sensible et changeante. Il a le double souci de penser l'unité et de sauvegarder la diversité. C'est même cette union d'unité et de diversité qui constitue pour lui le fondement même de toute réalité. Ce qui existe vraiment est substance individuelle, Leibniz l'appelle monade. A l'opposé d'un tas de caillou qui n'est "un" que par le regard de celui qui décide de ne considérer les cailloux que dans leur agglomérat, et où chaque caillou n'est que juxtaposé aux autres sans nécessité interne, la monade est d'abord véritable unité, dans laquelle tout est lié par une cohésion et une nécessité interne. Un exemple de monade est l'organisme vivant. Un tas de caillou n'existe pas par lui-même, mais sous le regard qui le constitue comme étant "un" en considérant la juxtaposition des cailloux, alors que la monade est ce qui "est" vraiment, parce qu'elle est vraiment "une". "Ce qui n'est pas véritablement un être n'est pas non plus véritablement un être." Chaque monade n'est pas seulement une, mais elle est de plus unique, elle est nécessairement différente de toute autre. Leibniz énonce ainsi le principe des indiscernables, selon lequel il ne peut pas exister deux êtres rigoureusement semblables. Chaque monade possède en elle-même et par elle-même toutes ses déterminations, qu'elle ne reçoit pas passivement du dehors, car elle n'a "ni portes, ni fenêtres, par lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir". Elle porte en elle-même le principe de ses propres changements internes. 

3. L’harmonie préétablie.
Chaque monade porte en elle-même la totalité de sa propre histoire. Mais elle n'est pas pour autant un monde isolé, replié sur lui-même, elle porte en elle la trace de tout l'univers, car elle est liée, par son action, à la totalité du monde.  "Tout corps se ressent de tout ce qui se fait dans l'univers; tellement que celui qui voit tout, pourrait lire dans chacun ce qui se fait partout et même ce qui s'est fait ou se fera." Chaque monade se trouve être comme le miroir de l'univers entier, mais en même temps l'image qu'elle reflète est unique. Ainsi "une même ville, regardée de différents côtés paraît toute autre, et est comme multipliée perspectivement", mais ce n'est pas pour autant qu'il s'agit de villes différentes. Il y a donc une infinité de perspectives, de différents points de vue, sur un seul et même univers.
Il n'y a pas d'action extérieure d'une monade sur une autre, et il y a pourtant communication entre elles, elles s'accordent effectivement les unes aux autres, car leurs perspectives différentes sont celles d'un même univers réglé par Dieu. C'est ce que Leibniz appelle l'harmonie préétablie, et qui lui permet ainsi de répondre à la difficile question cartésienne de l'union de l'âme et du corps. Pour illustrer cette notion, il s'interroge sur comment deux pendules peuvent elles rester exactement à la même heure. Première manière, il existe un dispositif mécanique qui les relie, mais ce n'est pas le cas de deux monades. Deuxième possibilité, il y a un intervenant extérieur qui les ajuste constamment à la même heure, mais il n'y a pas de telle assistance externe pour les monades. "Enfin la troisième manière sera de faire d'abord ces deux pendules avec tant d'art et de justesse qu'on se puisse assurer de leur accord dans la suite ; et c'est la voie du consentement préétabli." (Troisième éclaircissement du Système nouveau de la Nature et de la communication des substances).

4. Le meilleur des mondes possibles.
Il faut aussi comprendre ici le terme d'harmonie dans son sens esthétique. Le monde est pour Leibniz une totalité harmonieuse, avec le meilleur accord des parties possible. A la fois unique et divers, il allie le maximum d'ordre avec le maximum de variété, c'est pourquoi il est le meilleur des mondes possibles. Il respecte d'une part le principe de continuité qui dit que la nature ne fait pas de sauts, ce qui fait qu'il n'est pas un chaos, mais un monde ordonné. D'autre part, par le principe des indiscernables (voir ci-dessus), il est variété infinie. La critique de cette idée du meilleur des mondes possibles faite par Voltaire dans son Candide repose sur une falsification de l'idée. Il n'y a pas de naïveté de Leibniz, mais application rigoureuse du principe de raison suffisante : il doit toujours être possible d'expliquer "pourquoi quelque chose existe plutôt que rien et pourquoi ainsi et non autrement". Si tous les mondes possibles étaient également bons ou mauvais, il n'y aurait aucune raison pour que Dieu en ait créé un plutôt qu'un autre. Mais Leibniz ne prétend nullement que ce monde ci soit parfait, car le mal existe nécessairement du fait de l'inévitable limitation originelle de toute création. A la différence de Descartes, il pense qu'à l'impossible nul n'est tenu, pas même Dieu. Chaque monade s'efforcera quant à elle, autant qu'elle le pourra, de repousser ses limites, dans son effort pour exprimer le monde le mieux possible .

5. Les perceptions insensibles
Il y a en nous une infinité de perceptions insensibles, même si la notion peut en sembler à première vue paradoxale. Il peut cependant exister des changements dans l'âme (ce qui est la définition de la perception) que nous n'apercevons pas. Une des raisons peut être qu'ils sont trop petits pour que nous puissions les apercevoir. C'est le cas du bruit des vagues qui n'est constitué que de l'ensemble du bruit de chaque goutte d'eau, alors que nous sommes incapables de prendre conscience du bruit de chaque goutte (voir troisième citation ci-dessous). Il y a donc d'une part une réflexion sur l'inconscient, et sur le fait que le conscient est issu d'une somme infinie de perceptions inconscientes. D'autre part, on est ici dans le même domaine de réflexion que celui de la contribution la plus importante de Leibniz aux mathématiques, celle de l'invention du calcul infinitésimal. Dans les deux cas, il y a réflexion sur la notion de continuité, et sur comment une somme infinie de quantités infiniment petites peut constituer une somme finie identifiable. C'est ainsi que Leibniz donne le moyen mathématique de "résoudre" les paradoxes de Zénon, par l'invention de la notion de limite : la série faite de l'addition des termes 1/2,  1/4,  1/8,  1/16, etc. dont le terme général est 1/2n, tend vers 1 quand n tend vers l'infini. (voir leçon sur le temps.

Citations

1. "33. Il y a aussi deux sortes de vérités, celles de Raisonnement et celles de Fait. Les vérités de Raisonnement sont nécessaires et leur opposé est impossible, et celles de Fait sont contingentes et leur opposé est possible. Quand une vérité est nécessaire, on en peut trouver la raison par l'analyse, la résolvant en idées et en vérités plus simples, jusqu'à ce qu'on vienne aux primitives .(...)
36. Mais la raison suffisante se doit trouver aussi dans les vérités contingentes ou de fait, c'est-à-dire, dans la suite des choses répandues par l'univers des créatures ; où la résolution en raisons particulières pourrait aller à un détail sans bornes, à cause de la variété immense des choses de la Nature et de la division 1 des corps à l'infini. Il y a une infinité de figures et de mouvements présents et passés qui entrent dans la cause efficiente de mon écriture présente; et il y a une infinité de petites inclinations et dispositions de mon âme, présentes et passées, qui entrent dans la cause finale.
37. Et comme tout ce détail n'enveloppe que d'autres contingents antérieurs ou plus dépaillés, dont chacun a encore besoin d'une analyse semblable pour en rendre raison, on n'en est pas plus avancé: et il faut que la raison suffisante ou dernière soit hors de la suite ou séries de ce détail des contingences, quelqu'infini qu'il pourrait être.
38. Et c'est ainsi que la dernière raison des choses doit être dans une substance nécessaire, dans laquelle le détail des changements ne soit qu'éminemment, comme dans la source : et c'est ce que nous appelons Dieu.
"
(La Monadologie)

2. "On peut dire de même en matière de parfaite sagesse, qui n'est pas moins réglée que les Mathématiques, que s'il n'y avait pas le meilleur parmi tous les mondes possibles, Dieu n'en aurait produit aucun. J'appelle monde toute la suite et toute la collection de toutes les choses existantes, afin qu'on ne dise point que plusieurs mondes pouvaient exister en différents temps et différents lieux. Car il faudrait les compter tous ensemble pour un monde, ou, si vous voulez, pour un univers. Et quand on remplirait tous les temps, tous les lieux, il demeure toujours vrai qu'on les aurait pu remplir d'un infinité de manières, et qu'il y a une infinité de mondes possibles, dont il faut que Dieu ait choisi le meilleur, puisqu'il ne fait rien sans agir suivant la suprême raison.
Quelque adversaire ne pouvant répondre à cet argument, répondra peut-être à la conclusion par un argument contraire, en disant que le monde aurait pu être sans le péché et sans les souffrances : mais je nie qu'alors il aurait été meilleur. Car il faut savoir que, tout est lié dans chacun des mondes possibles : l'univers, quel qu'il puisse être, est tout d'une pièce, comme un Océan; le moindre mouvement y étend son effet à quelque distance que ce soit, quoique cet effet devienne moins sensible à proportion de la distance; de sorte que Dieu y a tout réglé par avance une fois pour toutes ayant prévu les prières, les bonnes et les mauvaises actions, et tout le reste; et chaque chose a contribué idéalement avant son existence à la résolution qui a été prise sur l'existence de toutes les choses. De sorte que rien ne peut être changé dans l'univers (non plus que dans un nombre) sauf son essence, ou si vous voulez, son individualité numérique. Ainsi, si le moindre mal qui arrive dans le Monde y manquait, ce ne serait plus ce Monde; qui tout compté, tout rabattu, a été trouvé le meilleur par la créateur qui l'a choisi."

(Théodicée)

3."D'ailleurs il y a mille marques qui font juger qu'il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, c'est-à-dire des changements dans l'âme même dont nous ne nous apercevons pas, parce que les impressions sont ou trop petites et en trop grand nombre ou trop unies, en sorte qu'elles n'ont rien d'assez distinguant à part, mais jointes à d'autres, elles ne laissent pas de faire leur effet et de se faire sentir au moins confusément dans l'assemblage. (...) Et pour juger encore j'ai coutume de me servir de l'exemple du mugissement ou du bruit de la mer dont on est frappé quand on est au rivage. Pour entendre ce bruit comme l'on fait, il faut bien qu'on entende les parties qui composent ce tout, c'est-à-dire les bruits de chaque vague, quoique chacun de ces petits bruits ne se fasse connaître que dans l'assemblage confus de tous les autres ensemble, c'est-à-dire dans ce mugissement même, et ne se remarquerait pas si cette vague qui le fait était seule. Car il faut qu'on en soit affecté un peu par le mouvement de cette vague et qu'on ait quelque perception de chacun de ces bruits, quelque petits qu'ils soient; autrement on n'aurait pas celle de cent mille vagues, puisque cent mille riens ne sauraient faire quelque chose.
(Nouveaux Essais sur l'entendement humain)

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Par l'auteur de cette page, quelques textes un peu moins éducatifs, et qui néanmoins valent le détour : les recueils de nouvelles.


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